Etre ou paraître

La conjonction de coordination « ou » définit la possibilité du choix tout en déterminant l’obligation que ce soit l’un ou l’autre mais nullement l’éventualité de l’un et de l’autre. Donc, selon l’énoncé du thème, on ne peut pas être et simultanément paraître. Une décision doit être prise dans un sens ou dans l’autre et finalement c’est elle qui fera ce que nous sommes. Ce n’est pas un jeu, il s’agit de notre responsabilité.

Etre ou paraître, être ou avoir, à l’évidence paraître est une manifestation d’avoir.
Dans l’évangile de Matthieu au chapitre 4 versets1-11, le Christ, rendu au désert où il jeûne durant quarante jours et quarante nuits, est soumis par le diable à trois tentations. Ces tentations sont respectivement les désirs de possession, de puissance et de jouissance, désirs présents, à des degrés divers, en tout être humain. Ces trois tentations sont le moteur de toutes celles qui nous assaillent en permanence, grandes ou petites. La réponse que nous donnons à ces tentations fait que nous basculons soit dans l’être ou dans l’avoir, donc dans le paraître.

Il est plus facile de s’exprimer sur la notion de paraître que sur celle d’être. Simplement parce qu’il faut s’engager dans cette démarche pour savoir de quoi il s’agit et pouvoir en parler, ne serait-ce qu’un peu et encore avec qui. Il arrive toutefois de se tromper d’interlocuteur et si on ne s’en aperçoit qu’après, c’est que son jeu était convaincant comme celui des acteurs de cinéma ou de théâtre qui interprètent tellement bien le rôle qu’ils remplissent qu’ils ne sont plus identifiables tels qu’ils sont. Ils restent derrière des masques comme ceux utilisés dans les tragédies antiques, on voit le masque mais pas l’acteur qui parle au travers. Le masque s’appelait « persona », il a donné personne.

Avec le paraître, c’est sous nos yeux, aussi faut-il vouloir les ouvrir.
Il y a un élément qui surgit directement, c’est celui qui nous fait découvrir que le choix de paraître signe la volonté de se montrer différent de ce que l’on est, généralement sous un bel aspect. Cette attitude entraîne une ambiguïté parce que dans cette construction de soi que l’on expose, avec l’illusion qu’elle sera reçue comme telle, ne sera pas forcément perçue par l’autre telle que voulue. C’est alors le début d’un mélodrame puisque l’imposture va se révéler tôt ou tard. Ainsi la personne telle qu’elle est, affublée du qualificatif peu flatteur de trompeuse et de la détérioration de la relation, la confiance étant entamée.

Cet aspect se dévoile aussi avec le grand âge lorsque les principes d’éducation s’effondrent quand l’effort à fournir pour les maintenir s’est estompé. La nature de la personne resurgit et notre surprise à cette découverte. Les bonnes manières apprises permettent de vivre ensembles mais, si elles restent du domaine de l’obligation et qu’elles n’ont pas été intégrées comme allant de soi, elles ne tiennent pas face à certaines circonstances.

Vouloir paraître c’est se projeter à l’extérieur par diverses manifestations. En pavanant, soit en exhibant une quelconque réussite, ostensiblement ses biens ou encore, par une démonstration allégorique de ses muscles. Le discours commence souvent par :
« moi je, j’ai » quêtant alentours des marques d’attention. Attitude bien intrigante quand on se souvient que les anciens disaient : « pour vivre heureux, vivons cachés ».
Paraître c’est donc chercher à plaire et si l’on cherche à plaire au monde c’est qu’on a le souhait d’en obtenir un bénéfice. C’est s’exposer à la multitude, en souhaiter la reconnaissance sans réaliser comment l’on sera reçu, toujours avec cette obnubilation au réel. Exemple, les escrocs paraissent toujours sympathiques.

À l’opposé vouloir être ramène à l’intériorité. C’est revenir à l’Un avec pour conséquence de devenir indifférent au « qu’en dira t’on » et s’étonner de la frénésie que développent les autres à assouvir leurs envies. Cela parce que l’action entreprise est la recherche exclusive de l’essentiel. Alors, l’opinion des gens, bonne ou mauvaise, ne fait que traverser la personne sans y laisser d’empreintes. Vouloir être impose un retournement. C’est répondre à l’injonction : « Va vers toi ! » que Dieu ordonne à Abraham. C’est le sens de la parabole du retour de l’enfant prodigue à la maison de son père.

Entre le retournement et l’accomplissement de l’être il y a tout un chemin à parcourir. Le retournement, ce n’est qu’avoir pivoté sur soi-même et à cet instant on n’est encore que sur place. Cela fait, reste à parcourir tout le chemin qui s’ouvre devant soi et c’est là que l’on est attendu. D’autant que ce chemin n’offre pas de certitudes. L’accès à son terme semble même du domaine de l’épiphénomène puisqu’ils sont si peu à l’avoir atteint ce qui nous conduit à douter de sa réalité, le doute étant une épreuve parmi les autres.
D’emblée le chemin n’est pas attrayant, son parcours impose de quitter ce qui nous préoccupaient et nous comblaient, toutes les fascinations du monde. Il demande de ne plus chercher à séduire, de ne plus s’imposer à l’autre, concevoir et accepter qu’il s’agit de sa vie, à lui et qu’il aura lui à en rendre compte. De ne plus cumuler ce qui sera à laisser de toute façon. Méditer cette parole de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité !» et si une trace doit rester que ce soit uniquement celle laissée dans le chemin pris à l’écart du monde.

Mais cela dit, il y a un point qui est indispensable de bien saisir et c’est celui que l’on néglige. Avant de se retourner il faut avoir pris conscience que l’on macère avec complaisance et depuis des lustres dans le paraître avec le diable qui est là, en permanence tapi dans notre part d’ombre, proposant ses sempiternelles suggestions.
À notre décharge le modèle culturel par lequel nous sommes conditionnés ne facilite pas cette prise de conscience. Il valorise et glorifie l’inclination aux tentations de possession, de puissance et jouissance et a inventé, entre autre, une pseudo-loi de la jungle pour justifier l’écrasement de l’autre.
Il est absolument nécessaire de comprendre que l’approche de l’être ne peut pas être théorisée même si la thèse émise est d’une grande érudition par contre fantasmée oui. Seulement ce fantasme conduit à des comportements contradictoires où il n’y a pas juxtaposition entre le dire et le faire et cela finit par apparaître.
Alors, comme on ne peut pas causer de l’être, tout bavardage reste incongru. L’être ne peut être atteint qu’au moyen d’une pratique et par une attention et une tension permanentes. C’est ainsi que cela se passe parce qu’il est très exactement celui qui Est. C'est-à-dire, d’une façon un peu violente, soit on va vers l’être, soit on reste dans le baratin habituel avec toute la théâtralité qui l’accompagne. Il n’y a pas de demie mesure, c’est l’un ou l’autre. Donc, c’est pour le moins inquiétant de se déclarer spéculatif quand c’est l’action qui est exigée et ne pas s’apercevoir de ce que cela a de tragique.

MBX
Janvier 2021

M.B.